- Jean-Acier DANÈS
- Édito : le journal mensuel de la Manufacture Berthoud
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Manufacture Berthoud Cycles
Texte : Jean-Acier DANÈS
Août incarne quelque chose d’infiniment grand. C’est le mois où l’on se contente du plus auguste
Crédits photographiques : © Berthoud Cycles
Alors, je suis probablement mauvais observateur, ou grand utopiste mais en août j’ai le sentiment qu’une ou deux respirations durant, plus personne ne veut être propriétaire de rien, que tout le monde veut partager une salade au jardin ou faire griller un chamalow sur une broche quand la nuit tombe, et puis la tête en l’air se dire - il faut le découvrir ce jardin ! Aimer et être soi du matin au soir ! Explorer autrement les cartes qu’on a dans son jeu et caresser d’un doux revers de main l’eau du kayak pour ralentir le flot… C’est ce que j’aime bien dans le mois d’août: c’est un tremplin puissant. Cela veut dire qu’il y a de l’inertie. Une petite tristesse devient une tragédie d’été. Une pluie devient un orage shakespearien, une compétition sportive le coeur battant d’un imaginaire national avec sa ferveur et sa cohésion. Et pour l’artisan comme pour le sportif, un geste répété devient, dans la poussée centripète des jours, la manifestation brute d’une prouesse sur plusieurs plans: joie, forme dans l’exécution, vitesse dans l’effort, passion. Un peu de courage quelques soirs de semaine durant se transforme en une ascension, un voyage heureux.
« Août. C’est l’été et le vrai. La montagne ronronne de moteurs, la mer s’anime sans vent d’une vague molle battue par les pagaies des rameurs. C’est le mois où la sacoche posée sur le sable, on dégoupille un tire-bouchon ou un ouvre-canette, et la boisson est fraîche — un éden, après la route, un mérite dont on anticipait la saveur depuis la ville. Et tant pis pour le sable. Et tant pis pour le trajet de retour. Même une voiture qui klaxonne un cycliste déclenche des hurlements de moqueries et de relatifs « oh ça va, pepère ! » C’est le mois du panache qu’on paie d’un coup de chaud, mais qu’est-ce que ça peut foutre un coup de chaud, quand il y a les rivières, les traces de bronzage, les corps affutés et les amis. Dans les gourdes tout y passe, à table on s’éternise, de toute façon on roule mieux à la fraîche, à travers les collines et les cyprès. Je roule sans m’arrêter sur les épines cramées qui parcourent le sentier. Je pourrais parler des glaces, du goût de mûre, de citron, de miel, de myrte. Mais en roulant, c’est l’odeur de l’anis, du cuir chaud, de la lessive, du pétrole brûlé qui m’attrape la gorge dans les montées. »
Autour des villes que je fréquente souvent, qu’elles soient amies ou non, j’aime bien imaginer un quadrillage. Et puis à mesure que j’explore, un peu comme une découverte où dans le brouillard de la carte nous ferions des avancées progressives, je relie mes trouvailles et mes surprises à la réalité factuelle — un millimètre de science frôle un étalon-mètre de vécu. Ici, le col porte un nom terrifiant alors qu’il est adorable. Là, c’est l’inverse: on s’attend à un petit banc jovial face au lac où l’on pourrait grignoter en regardant les hérons, et on a une plaine hostile fouettée par le vent. Petit à petit, je réitère, je confirme, j’apprends à retenir ces lieux qui nous constituent et à les confronter à ce pendule de Foucault, sans arrêt, marque du passage de l’expérience. Autour de Fleurville, par exemple, autour de la Manufacture Berthoud, j’ai noté une portion sublime qui mène à Beaune, une forêt percée par la pluie qu’il faut braver pour aller au Creusot, une pizzeria à la tablée affable et une boulangerie pratique, un endroit pour réparer son vélo ou encore un banc à la sortie d’une gare pour le remonter après le train. Plusieurs passages, plusieurs variations de ces paysages, et souvent un même constat: la carte du coeur déteint parfois sur la neutralité du réel. Alors en août, je m’amuse à laisser dans un tiroir le compteur et la carte et à me lancer à l’instinct, à l’envie, vers la vie.
Je pourrais citer autour de Fleurville, autour de la Manufacture Berthoud, dix endroits comme ceux-là où j’ai aimé fixer un point d’intérêt dans ma mémoire: un endroit où dormir à la belle étoile, une épicerie où s’approvisionner comme un prince, une cachette furtive pour photographier les nuages sur le lac, une grotte mystérieuse où l’on peine à voir, un château parfait qu’on voudrait habiter malgré ses murs lézardés, une abbaye où l’on se voit apprendre un métier, et surtout des routes qu’on a tant de chance de pouvoir emprunter. Mais comme août je vous invite à plus grand: je vous invite à vous y rendre et à juger par vous-mêmes. À dresser, vous-même, avec vos goûts et vos choix, une architecture du coeur.
Ce qui est certain c’est que vous y trouverez à Fleurville, rue des acacias, une Manufacture sympathique avec des artisans et experts qui vous ouvriront la porte. Probablement qu’ils auront, sur une étagère, une solution à vos voeux d’artisanat et de confort, d’autonomie et d’itinérance, de personnalisation ou de performance durable. Probablement qu’ils auront un outil que vous n’utilisez pas, ou pas comme ça, et qui portera ses fruits. Probablement qu’ils pourront concevoir, pour vous, votre vélo pour les années à venir. Probablement qu’ils peuvent aussi, puisqu’ils le font chaque jour, envoyer vos achats dans le monde entier, mais qu’ils ont pourtant bien plus à vous raconter que ce qui rentre dans un paquet: ils vous parleront de position optimale, de cuir pleine fleur, de matériaux et de composants respectueux du clients. Mais ce n’est pas moi qui vous en parle, ils le feront d’eux même. Et il vous restera le plaisir de faire confiance au temps.
Bonnes routes et à bientôt, le 8 octobre, pour l’article du « Journal de Paysage » du mois de Septembre.
Jean-Acier DANÈS, auteur de Bicyclettres (Éditions du Seuil).