Novembre est le mois des équipées : rouler d’un coup, traverser sa région, retrouver des amis, se harnacher pour faire face à des difficultés. Aucune équipée ne peut se passer de détails. Et pour accomplir des aventures mémorables, si minuscules soient elles aux yeux des autres, les détails importent toujours. Chez Berthoud, l’équipe l’a bien compris. Même si Berthoud s’écrit avec un D, ils ne travaillent pas un dé entre les mains et ne laissent rien au hasard. Leur chance, c’est le calcul et l’expérience de faire naître des cycles.
À peine arrivé, Fred repasse avec moi les cinquante détails qui font du vélo en cours de construction mon futur vélo : qu’en sera-t-il de ce support, de ce tube, de cet éclairage, et pour la dimension du pneu, mais du coup la lampe est-ce que… Ensemble nous réfléchissons à des dessins pour les soudures des porte-sacoches, à des derniers angles, pour le portage des équipements (lampes et bagages), ou à une contrainte de roue libre pour le moyeu arrière. J’apprends des choses, je relance sans le vouloir des autres questions car l’imagination est une rafale d’intuitions qui s’interrogent les unes avec les autres. Le projet progresse, le vélo sera bientôt prêt.
Marjorie me pousse à reconsidérer une couleur pour le moyeu, tandis que Philippe remue et incline à la lumière une palette pour nous accorder sur la peinture du cadre. Le soleil nous aide et fait scintiller quelques échantillons de nuancier, il projette à travers la baie vitrée de la Manufacture des grandes ombres qui se perdent sur le sol gris et que nous fendons en nous déplaçant comme une girafe piétinant dans sa steppe. Devant nous, au pied de l’écurie, la rampe de gravier qui remonte vers la rue des acacias. De temps à autre, le téléphone sonne, un livreur s’annonce. Alors dans ces instants-là, pour ne pas déranger ceux qui m’accueillent, je flâne dans les trouées d’étagères. On me confie à l’essai un mini-vélo « prototype à gros pneu » que j’essaie pour le plaisir et qui fait crisser les graviers gelés. Il donne envie de rebondir comme un cabri. J’ai un large sourire aux lèvres et je suis plein de rêves. S’il est clair qu’il n’a presque rien à voir avec mon vélo d’aventure en cours de réalisation, ce petit BMX de ville prête à la joie. Ces moments à flotter sur des pneus souples à pleine allure avec les joues qui brûlent, ainsi que le repas que nous partageons à midi dans un restau du coin, ces réveils dans la nuit et ces trajets vers la Saône, ils seront quelque part contenus dans ma mémoire lorsque j’enfourcherai mon futur vélo d’aventure.